J'ai plaisir à partager avec vous,
en ces périodes où les cucurbitacées foisonnent au jardin ou sur les étals de nos producteurs,
cette recette de "soupe à la citrouille" (glanée au fil de mes lectures)
élaborée par le regretté Jean Pierre COFFE, chroniqueur gastronomique bien connu.
J'ai beaucoup apprécié sa poésie mêlée à son humour et à son talent de cuisinier dans ce texte insolite ..
Prenez votre temps pour savourer mes amis ....

Pour jouer au magicien, choisissez une belle citrouille rouge-orange, de 3 à 4 kg, régulière de forme.
Son choix ne doit rien devoir au hasard.
Déambulez sur les marchés, regardez, soyez réceptif au coup de foudre.
Quand vous verrez "votre citrouille", vous saurez que c'est elle et aucune autre.
Elle sera la plus belle puisque ce ce sera la vôtre.
Une fois rentré chez vous en compagnie de votre somptueux potiron,
je vous conseille de faire assaut de gentillesse, de tendresse.
Trouvez les mots pour la mettre en confiance, tranquillisez-la,
sinon la vue du couteau dont vous allez inévitablement vous servir pour découper
un couvercle de 15 à 20 cm de diamètre sur sa partie supérieure, risque de l'effrayer.
La moindre émotion ou frayeur pourrait troubler sa chair délicate,
et peut-être vous priver de son exquise saveur.
Apaisée, quiète, vous pourrez doucement enfoncer un grand couteau parfaitement aiguisé dans sa chair
abandonnée et aisément faire le tour du pédoncule central pour retirer une calotte,
que vous conserverez précieusement après l'avoir débarrassée
des pépins et filaments qui s'y seront accrochés.
Il vous faudra également, avec d'abord une main légère, puis une grosse cuillère, pénétrer à l'intérieur
de la citrouille pour en extraire l'ensemble des pépins qu'il ne faudra surtout pas jeter.
Lavés, soigneusement séchés, passés au four pour être grillés comme des amandes, délicatement salés,
ces pépins servis à l'apéritif avec un verre de vin blanc délicieusement agaçant, exerceront leur vertu
apéritive. Leurs effets secondaires n'apparaîtront que plus tard.
Ces pépins ont en effet d'incontestables vertus aphrodisiaques.


Le fond de la citrouille peut alors accueillir de belles tranches de pain de campagne grillées et
courageusement frottées d'ail.
Ensuite, il faudra recouvrir cette couche de pain d'une couche de champignons.Ils peuvent être
modestement de Paris, émincés ou entiers selon leur taille ; mais rien n'interdit qu'ils soient sylvestres (rosés des prés, cèpes, girolles, trompettes de la mort ou, perfection, mousserons).
Quelle que soit leur origine, ils devront être abondants.
Sur les champignons, il faudra répandre du fromage râpé : beaufort, comté et emmenthal français font
bon ménage. Leurs parfums se complètent sans se contrarier. Il conviendra d'insister pour que le
fromager vous fasse goûter ces différentes variétés afin que votre choix se porte sur les plus parfumées,
les plus affinées. Vous exigerez également que l'opération de râpage se déroule sous vos yeux afin d'être
certain de la fraîcheur des produits (l'idéal étant d'effectuer cette opération chez soi).
Pendant tout le temps qu'exigera la stratification de la citrouille, il faut continuer à converser avec elle.
N'oublions jamais que les légumes, quels qu'ils soient, cucurbitacées compris, ne sont pas prévenus à
leur naissance de leur fatale destinée. Une citrouille dans un potager, rencontre et bavarde avec des
salades, des haricots verts, des tomates ou tout autre légume de la saison, mais elle ignore tout du pain et
du fromage, de la crème et des champignons. Les présentations sont donc indispensables, sans toutefois
réclamer d'emphase ni le respect particulier des conventions sociales. L'essentiel est d'expliquer la raison
de ces mélanges et surtout, de rassurer.
Il est bon de saler au gros sel, de poivrer au moulin, de muscader légèrement. On recouvre alors
l'ensemble des différentes couches de crème fleurette. Selon la taille et le volume intérieur de la
citrouille, on peut recommencer une autre série de strates, pain sur crème, champignons sur pain,
fromage sur champignons et crème de nouveau.
Parfaitement remplie, la citrouille retrouve son couvercle qu'il faudra prendre soin d'emboiter avec précision.

Plusieurs épaisseurs de papier d'aluminium seront nécessaires pour
emballer soigneusement la citrouille pleine, afin que la protection soit bien assurée.
Avec beaucoup de délicatesse, la citrouille emballée sera posée sur la lèchefrite, puis introduite dans le
four qui dispensera pendant 3 heures une chaleur très douce. Durant toute la période de cuisson, il sera
nécessaire de vérifier la présence d'un fond d'eau dans la lèchefrite.
Bien qu'emballée soigneusement dans le papier aluminium, après 3 heures de cuisson, la citrouille s'est
fragilisée ; aussi est-il souhaitable de l'apporter à table sur la lèchefrite qu'on pourra parfaitement avoir
revêtue, elle aussi, de papier aluminium.
Dans la cuisine, le couvercle aura été dégagé. Une fois à table, c'est avec infiniment de précaution qu'on
retirera le couvercle afin de laisser les convives s'énivrer des exquis parfums
qui se dégageront de la citrouille.
Avec une cuillère en bois on mélangera l'ensemble des ingrédients contenus dans la citrouille.
La chair tendre et rosée sera incorporée au pain, à la crème, aux fromages et aux champignons.
Chacun se servira, réjoui, heureux, convaincu que, même à notre siècle,
les citrouilles peuvent encore faire des miracles.
(extrait de son livre "Le potager plaisir")

Photo "coup d'coeur' lors d'une fête de terroir par chez nous.


“Quand on a faim, une citrouille vaut mieux qu'un carrosse.”
(pensée de Thérèse Amiel.)

Profitez bien de votre automne les amis,
même si la météo fait encore des caprices.